L'alliance d'une haine mutuelle.

Mousquetaire Masqué

Rares étaient les occasions où Henri de Pardaillan en personne s’isolait dans le boudoir pour s’avilir au complot. En règle général, le vieil homme, anciennement connu sous le prestigieux nom du Mousquetaire Masqué, envoyait un de ses collaborateurs pour discuter la besogne avec les dissidents. Mais l’heure était grave, la puissance parlementaire des Néo-Jacobins ne montrait aucune faiblesse et, devant l’importance de la loi qu’il essayait de faire passer, les rancoeurs devaient êtres mises de côté pour laisser à l’alliance l’opportunité du triomphe.

Ce n’était pas la première fois que les Mutocrates et les Sans-Bérets s’accordaient pour faire front commun, mais lorsqu’un pacte était scellé par les deux dirigeants, le message était clair pour tous les députés : quelque chose allait changer. Vêtu d’un costume sombre sur une chemise grise, Henri, qui conservait toujours son épée à sa ceinture, symbole d’une noblesse autoproclamée, tournait autour de la table, méditant la situation dans une marche silencieuse sous les lumières timides de la pièce.

Bien qu’il n’eût pour cette femme qu’un maigre respect, il savait qu’une attitude trop hautaine pourrait compromettre leur alliance. Il lui fallait ranger ses idéaux, éteindre ses convictions pour parvenir à rallier une « humaine » dont la véritable identité lui était inconnue. Henri n’ignorait pas la difficulté d’entretenir une double vie, lui-même, poussé par l’âge, rangea son costume pour endosser l’habit du politicien. Le monde de la rue appartenait à la jeunesse, mais l’esquisse de l'avenir reposait sur ses épaules de vieillard. Las d’attendre, il prit place en bout de table, jugeant préférable de siéger ainsi pour dominer l’audience qui s’apprêtait à rentrer.

Une fine silhouette pénétra dans l'imposant bâtiment de l'Assemblée Nationale des Super-Héros. Son costume d'une élégance passéiste ne choqua personne : au contraire, nombre d'individus s'avancèrent pour lui serrer la main. A travers son masque, elle regardait chacun d'eux, développant mentalement une longue liste du taux de confiance accordé à chacun de ses partisans.

Pas de sourire, seulement une main froide et gantée. On n'arrivait pas à la tête des Sans-Bérets avec des rondeurs et des tendresses, la lueur d'effroi observable dans certains regards l'attestait. Sa dague glissait silencieusement le long de sa cuisse lorsqu'elle montait les escaliers en direction du Boudoir.

L'esprit occupé, elle vérifia à deux reprises que personne ne la suivait. Certaines affaires cruciales nécessitaient une grande discrétion, elle l'avait appris en grimpant dans la hiérarchie. Elle effleura lentement les épais rideaux qui couvraient l'entrée de cette pièce si renommée tant elle avait été génératrice de complots et parfois même de mort.

Elle dégaina son téléphone portable dernier cri et l'éteignit. La prudence, toujours. Henri était déjà présent, toujours dans cette posture raide et dominante, prolongée par son épée si célèbre. Elle demeura parfaitement neutre. Elle avait fini par s'habituer aux faces à faces avec cette légende vivante, le Mousquetaire Masqué, presque dans la métier alors qu'elle était à peine née. Au delà de ce prestige, elle connaissait aussi les idées dangereuses de cet homme aux apparences bien trompeuses. Cela faisait déjà d'ailleurs plusieurs années qu'elle ne se faisait plus d'idées sur sa personne.

"Bonjour Henri. Je serai concise : nous souhaitons tous deux faire passer cette loi qui permettrait à nos membres d'être égaux en droit avec le préfet de Sainte-Justice. Tu es un raciste de la pire engeance mais j'ai réussi par le pragmatisme. Les Neo-Jacobins possèdent la majorité parlementaire, même en nous alliant. Il faut donc agir autrement, que proposes-tu ?"

Mousquetaire Masqué

Lorsqu’elle fit son entrée, le vieil homme, assis fièrement sur son trône improvisé, toisa l’héroïne d’un regard réprobateur. Les paroles véhémentes de son opposante froissèrent son ego, son accoutrement, si familier, lui inspira un dégoût qu’il exprima d’une grimace répugnée. Il caressa du bout des doigts le pommeau de son épée, la sortant partiellement pour faire grincer le métal lors des paroles assassines de celle qu’il ne considérait être qu’une arriviste. « Mon enfant, répondit-il en délaissant sa lame, si l’injure vous semble la meilleure stratégie pour m’amadouer, sachez que votre stratégie n’est pas au point ».

Il posa ses mains sur la table, à plat, et regarda les rides qui les parsemaient. D’un air songeur, comme assaillis par son apparente vieillesse, il reprit : « Ces Néo-Jacobins, ils m’amusent. Leurs idéaux d’équités, bien qu’attractifs, ne sont qu’une utopie. Les préfets de police ne sont qu’humains, de la vermine, un peu comme vous, mais différent. Leur statut officiel nous oblige encore à nous plier à leurs idées, mais ils ne sont que des parvenues, Brisefer veut juste entretenir la popularité de son parti. Il est temps de donner une leçon à ce prétentieux ».

Il se leva de son siège, croisa ses mains dans son dos, et se dirigea à quelque centimètre de fantomette, rapprochant dangereusement son visage au sien. « Bien que ce soit le fils d’un vieil ami, il est devenu une gêne trop importante pour être toléré. La semaine prochaine, il se rendra au Panthéon pour fleurir la tombe de son père pour célébrer l’anniversaire de sa mort. La foule nous fournira le camouflage urbain nécessaire pour ce qui doit être fait. Ce jour là, nous assassinerons le fils unique de Super Dupont pour fragiliser le parti des Néo-Jacobins ».

Sur ces mots, il se tut et attendit la réponse de son interlocutrice.

L'association du regard déterminé de l'ancien Mousquetaire Masqué et du léger tintement de son acier couvert invisiblement du sang de victimes anonymes déstabilisa Fantomette qui s'assit pour cacher un léger tremblement de la main. Le même qu'au Cycle lorsqu'elle s'emportait dans de long monologues passionnés.

Elle appuya alors son menton sur son poing tout en examinant son interlocuteur, les yeux plissés par la réflexion immédiate. Elle tiqua à peine lorsqu'il fit allusion à sa condition d'humaine, condition pour laquelle elle luttait en tant que Héros depuis le début de sa carrière politique. Aujourd'hui, l'alliance était nécessaire. Mais plus tard, la jeune Héroïne n'avait aucun doute sur l'intention radicale du Mousquetaire de les éliminer. Ainsi allait la vie, elle avait toujours reproché aux Neo-Jacobins leur idéalisme de bon aloi.

Elle rassembla ses deux mains en soufflant légèrement à l'intérieur lorsque Henri vint finalement au coeur du sujet. L'assassinat de Benoit Brisefer, un autre baron du monde des Super-héros, brillant à sa manière mais irritant. Le fils de son père, en plus romantique. Le thème ne lui était pas étranger mais mentionner la suppression d'un élément dérangeant l'avait toujours fait frisonner, tout en évitant que cela ne se voit.

"Je ne m'arrêterai pas sur la vermine. La proposition est cohérente mais extremement radicale et lourde de conséquence. Je suppose que tu conçois sa disparition comme l'aboutissement d'une vie politique gênante. Mettons que les Sans-Bérets soient de la partie, Brisefer est loin d'être un imbécile, il est plus que bien protégé. Ne parlons pas de l'enquête qui s'ensuivra. Comment envisages-tu les détails, et notamment le commanditaire ?"

Elle l'avait fixé tout du long, se positionnant comme son égal dans la discussion, bien determiné à ne pas se faire manipuler, spécialité de tout bon dirigeant de partis de super-héros.

Mousquetaire Masqué

À sa grande surprise, Henri fut satisfait par la réponse de Fantomette. À défaut d’exprimer un entrain sincère face à cette proposition morbide, elle demanda, intriguée probablement, le plan que le vieil homme avait élaboré. Après quelque pas de recul, il tourna le dos à son interlocutrice pour confronter le mur. « Nous n’avons qu’une semaine pour planifier la chose, aussi, il est préférable d’employer nos meilleurs éléments. J’enverrais deux de mes hommes dans les bas quartiers, ils rentreront en contact avec le gang LeBouc que nous engagerons pour tuer Brisefer. Bien entendu, ils échoueront lamentablement, on ne tue pas si facilement le fils de Super Dupont. Nous les utiliserons seulement comme diversion, pour que le blâme retombe sur eux ».

Il marqua une pause, fit demi-tour, et regarda à nouveau la chef des Sans-Bérets.

« Pendant ce temps, reprit-il, vous enverrez un petit groupe de vos soi-disant Super-Héros pour infiltrer le commissariat. Je me fiche de savoir comment vous vous y prendrez, mais vous devez découvrir les dispositifs de sécurités mis en place par les autorités publiques ».

Un sourire s’afficha sur le pâle visage du Mutocrate, comme amusé, il dégaina Durandal et admira la lame. Laissant traîner son regard envoûté sur l'acier, il poursuivit :

« Une fois les dispositifs en place, il ne nous restera plus qu’à frapper. C’est ici que ça se complique. Vous et moi serons aux côtés de Brisefer lors de l’attaque, le devoir officiel nous y contraignant, le peuple s’attendra à ce que nous lui venions en aide. De plus, nous ne pouvons omettre la protection des membres du parti des Néo-Jacobins. Voilà pourquoi, peu avant l’attaque, nous créerons un effondrement d’immeuble en plein centre ville. Tous nos héros doivent se rendre sur place, ce qui obligera les Néo-Jacobins à adopter la même stratégie pour sauver les apparences. À l’inverse, Benoît ne pourra pas partir et délaisser la tombe de son père, il sera donc isolé. Un de vos hommes, et un des miens, pour éviter toute trahison, frapperont ensemble, déguisé en membre du gang LeBouc, pour tuer le fils prodige. La foule deviendra incontrôlable et nos hommes disparaîtront dans la masse ».

Son monologue maintenant terminé, il rangea son arme et tendit une main à Fantomette pour sceller le pacte. « Il ne peut y avoir aucune erreur, aussi je compte sur vous, car comme dis le proverbe : "l'erreur est humaine... Pas mutante".

Le plan se compliquait, il le fallait.
Fantomette comme Henri n'avaient certainement pas dans leurs habitudes de
laisser quelque chose au hasard : à Sainte-Justice, c'était parfois synonyme de
mort et quelques tombes étaient là pour en témoigner.

Elle le regardait tourner sur lui-même tout en s'exprimant
lentement, chacune de ses syllables parfaitement détachées pour marquer une
distinction aristocratique à laquelle il avait toujours été attaché. Elle se
souvint vaguement de Super-Dupont se moquer courtoisement de l'accent de son
compagnon.

Une diversion par le gang Lebouc d'abord, puis
l'infiltration du commissariat et enfin l'assassinat. En théorie le schéma
était cohérent, à chacun de l'appliquer de son camp ensuite.

Elle s'arrêta un instant sur sa lame dégainée, faisant
bien attention à ne marquer aucune réaction d'intimidation. Après tout, elle
aurait pu aussi jongler avec sa dague : une vieille habitude.

"Cela se tient. Toutefois le gang des
LeBouc est moins comique que vous ne l'entendez, ils peuvent se montrer très
efficace. Ils demanderont certainement des contreparties... mais je suppose que
tu le sais déjà. Je vais voir ce que je peux faire pour le commissariat. Nous
nous recontacterons très bientôt. Ne te fatigue pas avec l'escrime grand-père"

Sur cette provocation légère, elle se leva sans bruit puis
quitta la pièce en replaçant sa cape.

Mousquetaire Masqué

Le pacte était scellé. L’alliance temporaire des Mutocrates et des Sans-Bérets allait bouleverser à jamais l’ordre de puissance de Sainte Justice. Henri regarda Fantomette quitter la pièce, ses grands airs abandonnant sa compagnie pour commencer la tâche délicate que représente un tel assassinat. Le mousquetaire préféra s’attarder quelques longues minutes, ses pensées meurtrières trottant dans son esprit pour entamer la course vers la salvation. Bientôt les Super-Héros appliqueront la loi, ils seront les supérieurs hiérarchiques des autorités publiques. Une étape nécessaire pour l’ascension du mutant sur le trône présidentiel.

D’un demi tour, il s’affranchit du boudoir, une promesse en tête. Après Brisefer, Fantomette sera la prochaine, ses ennemis tomberont et la montée des Mutocrates vers le gouvernement Français deviendra inévitable.