La complainte des marionettes (mardi soir).

Au pied de l’estrade, des couples s’enlaçaient. Des enfants, en équilibre devant le sommeil, se réfugiaient dans les bras de leurs parents et, sous les faibles lumières de la rue, quelques passants, habitués à ce spectacle musical, s’arrêtaient à l’occasion pour honorer les notes les plus populaires. Jean Jean, réputé pour son jeu de guitare, animait la foule grâce à de calmes mélodies apaisantes aux paroles engagées. L’ambiance, pour ce genre de quartier, dépassait les préjugés pour s’afficher en une sérénité appréciable capable de faire taire le cynisme élitique des Mutocrates.

Brisefer et Grégoire arrivèrent les premiers sur place. Tel un habitué, le politicien fit entrer son véhicule en mode furtif, étouffant les bruits de moteurs, pour, une fois la manœuvre faite par sa subalterne, sortir en toute discrétion. Il s’appuya contre sa portière, les yeux rivés sur l’estrade et attendit l’arrivé de Mercantour. « Je ne prendrais pas part aux conflits, révéla Benoît à sa compagnie, mon identité, si elle venait à être révélé dans ce genre de travail, pourrait créer de graves préjudices au parti ».

Plusieurs minutes plus tard, une silhouette canine se dégagea de la foule. À ses côtés, un homme étrange, coiffé d’un chapeau et décoré d’une cravate, qui marchait en toute impunité sous les regards peu interrogateurs de la foule. Les deux groupes se rejoignirent, laissant planer quelques secondes de silence avant qu’enfin, Mercantour lance une injure. « S’pèce de prétentieux, grogna-t-il, te ramener ici, en des temps aussi importants, tu manques pas de culots ». Brisefer, impassible, pointa le détective du menton. « Vous n’êtes pas un des nôtres, lâcha-t-il, ignorant volontairement le loup, je suis Benoît Brisefer, chef des Néo-Jacobins, et voici l’une de nos jeunes recrues, Écho, je suis ravis de faire votre connaissance ».

En un grognement qui fit valser des têtes dans sa direction, Mercantour s’écarta, visiblement en colère, et maugréa des insultes à peines perceptibles par l’ensemble de ses camarades.

L’approche de la demoiselle irrita un peu plus le loup. Mercantour, dans ses moments de colères, se savait peu agréable et, lorsqu’on s’aventurait à la diplomatie du dialogue, il n’hésitait pas à repousser, dans une démarche animale, quiconque essayait de calmer ses ardeurs. Son museau se plissa sous la colère, introduisant une ouverture de bouche qui, elle-même, n’était que le camouflage de crocs intimidants. « C’est dur d’avoir l’antéchrist pour patron, lâcha-t-il sur un ton de défiance plutôt puérile, surtout quand ce dernier charme son troupeau par des idéaux d’équités ».

Après s’être délaissé de la compagnie de Grégoire, le vieux guerrier retourna auprès de Brisefer, en discussion avec le Ch’ti, pour délivrer son briefing. « J’enquêtais sur une nouvelle drogue, commença Mercantour, et un larbin, après violence, me révéla son fournisseur. D’échelon en échelon, j’ai remonté la piste jusqu’à GroCervaux. Là bas, j’ai fais la rencontre de c’type, il posa une main sur l’épaule de Dupuis pour le désigner, avec qui on a trouvé cette lettre. Un cadeau des cieux, qu’il nous faut saisir ».

Brisefer, toujours souriant, ne répondit pas à Mercantour, qu’il jugeait agaçant, mais s’adressa au détective : « Il n’est pas impossible de Youffa ne soit qu’un bouc émissaire, mais ce n’est pas un problème. Si on parvient à lui faire confesser l'implication des Mutocrates, moyennant une immunité, GroCervaux sera mis sous les verrous, ce qui devrait les affaiblir considérablement. Après tout, sans la distribution, la drogue sera conservé, et nous partirons à sa recherche après notre victoire sur les élitistes. Concernant la cassette, j'ai un lecteur CD dans la voiture, désolé, il faudra vous montrer patient. Une seule question demeure, Monsieur le détective, allez vous nous prêter main forte ? »

« Bien sûr que non, s’insurgea Brisefer dans une surprise bien trop prononcée pour être sincère, je ne suis pas mon père. Quoiqu’il y ait une ressemblance génétique, je ne peux pas le nier, mais je n’ai aucun complexe divin, comme le laisse entendre Mercantour. À la réflexion, je suis quelqu’un d’autre, car personne n’est celui qu’il montre, en fait, nous sommes tous un autre, mais sommes nous tous Super Dupont pour autant ? Probablement pas, lui-même était un autre, Super Dupont n’a jamais réellement existé, vous comprenez ? »

Mercantour roula des yeux en entendant l’élucubration de son supérieur. Lassé, il ouvrit la marche vers la résidence de Youffa : « Elle s’appelle l’Étincelle, répondit le loup à Écho, sécrétée avec le sang d’une des nôtres, d’où son nom. Les loubards n’ont pas une grande imagination. Nous utilisions cette substance pour nos interrogatoires, mais elle a disparu il y a quelques semaines. C’est une amie… Si Brisefer m’a mis sur le coup, c’est pour nous éviter l’embarras d’une mauvaise publicité, il se moque bien pas mal d’elle. C’est grâce à ce genre de manipulations qu’il me garde dans ses rangs ».

Les passants, lorsqu’ils gênaient l’avancé du groupe, s’écartaient précipitamment avant de les suivre du regard. « Hum ? » S’interrogea Mercantour sur la question du Détective avant de poursuivre : « Il pourrait tuer tous les criminels sans forcer, nous trois avec, mais il ne veut pas salir son image. Crois moi Ch’ti, il nous laisserait crever la gueule ouverte si notre mort venait à porter préjudice à son précieux parti. Le bien commun passe avant tout pour lui ».

Enfin, ils arrivèrent devant l’immense demeure. La maison, prétentieuse par trois étage, était protégée par une immense muraille, se rejoignant au niveau d’un portail, et deux gardes qui patrouillaient aux extrémités. « Bien, dis Brisefer le regard émerveillé l'architecture de la bâtisse, il vous faut agir discrètement, ce serait bête de réveiller le voisinage. Je vous attendrai ici, au cas où... »

Mercantour soupira, puis, visiblement éreinté par l’attitude du rejeton, il s’adressa à ses deux acolytes : « Ch’ti, tu prends celui de gauche, moi celui de droite. Écho, fais sauter la grille au bon moment pour attirer leur attention, on en profitera pour se faufiler dans leurs dos ». Aussitôt sa phrase terminée, il sauta par dessus le mur et commença à s’approcher de sa victime.

L’expérience de Mercantour suffisait à attester l’efficacité de ses plans. À peine les gardes entendirent la grille grincer sur le sol qu’ils se retournèrent. Mercantour se débarrassa silencieusement du sien, d’un geste habile et violent, le garde sombra discrètement. Le Ch’ti privé n’eut guère plus de tracas, sa prise à la carotide lui permit d’envoyer l’homme au pays des rêves avant même qu’il ne couine « à l’aide » à ses camarades restés à l’intérieur.

Pourtant, comme si une alarme silencieuse s’était déclenchée, trois hommes armés sortirent sur le porche, revolver à la main. Une ombre passa… Mercantour s’était saisi de l’homme en retrait, et en trois bonds, le prédateur l’avait emporté dans la pénombre. Les deux restants, contraints par leurs réflexes à un demi-tour, offrirent leur dos au détective. Ce dernier n’avait plus qu’à agir.

Écho, qui était restée en retrait, sentit deux mains venir la saisir par la taille. La jeune femme se sentit soulevée dans les airs, emportée par une aura protectrice bienfaisante, mais, étrangement, d’une puissance si grande qu’elle frémit, emportée par la terreur représentée par une telle puissance. Brisefer, d’une voix calme, lui glissa ces quelques mots : « J’ai de grands espoirs placés en vous, mais j’ai besoin que vous les supervisiez. Méfiez du loup qui diabolise le berger ». Écho fut prise par une sensation unique, comme si la proximité avec Brisefer ralentissait le monde extérieur. Elle était enfermée dans une bulle extérieur à l’espace et au temps, dans un monde de sérénité parfaite, mais où rôde toujours une fine constante démentielle juste assez perceptible pour être dérangeante. Doucement, il l’a déposa sur la pelouse et, en une nouvelle lévitation, Benoît regagna sa place à l’extérieur, offrant un innocent sourire à l'héroïne, maintenant sur un champ de bataille.

Le pouvoir d’Écho suffit à mettre hors d’état de nuire l’un des gardes restants. L’autre plus habile, et probablement plus habitué aux mutants, esquiva l’onde de choc d’une roulade parfaitement exécutée. Mercantour, qui déjà s’infiltrait dans la bâtisse par une fenêtre, ne comprenait pas l’hésitation du détective à passer à l’action. Il fallait agir vite, se laisser guider par l’instinct pour surprendre l’adversaire et empêcher la fuite de Boubakar. Leurs présences maintenant révélées, des hommes apparurent aux nombreuses fenêtres, Kalachnikovs en main, et visèrent les deux héros. Seul un ordre se fit entendre : « feu ! » et les balles fusèrent. Ici, ils étaient à découvert et, si l’envie de faire un pique-nique se faisait entendre, la confiture serait gorgée de sang. Le garde, qui avait évité l’attaque d’Écho, s’était recroquevillé contre le mur, incapable de bouger sous cette pluie de 10 mm.

En se fiant aux bruits des balles, les deux Héros constatèrent que les fusils disparaissaient les uns après les autres. Mercantour, qui déjà se trouvait à l'intérieur, se débarrassait progressivement des gardes. Bientôt l'entrée ne serait plus une difficulté et en regardant bien, François pu déterminer deux à trois fenêtre capable de l'accueillir sans grand danger. L'une mener au salon, l'autre à la cuisine et la dernière, situé à l'étage supérieur, donnait sur ce qui semblait être une chambre d'enfant.

De son côté, Brisefer se contentait de regarder la scène, un petit sourire en coin, et ne semblait pas disposé venir en aide à ses deux alliés. Mais il fallait garder à l'esprit que son statut d'homme politique l'empêchait de prendre une part active à ce genre d'assaut et l'homme, connut pour son esprit particulier, n'était pas aisément lisible pour les autres. À l'intérieur, seul un cri se fit entendre, celui d'un loup blessé qui ne cessait de charger face à des ennemis le surpassant en nombre. Bien que les héros furent en sécurité dans une bulle sonore imperméable aux balles, l'heure était à la vitesse car leur allié canin semblait en difficulté.

À peine eurent-ils foulé le sol de la cuisine que Mercantour sombra à leur pied, emportant dans sa chute une bonne partie du plafond. Sur lui reposait un homme à la peau noir, le crâne chauve et les muscles saillants. Un homme banal, sans pouvoir qui, au corps à corps, rivalisé avec l’un des plus puissants Néo-Jacobins. Si venir en aide au fauve était atrayant, l’arrivée soudaine de trois gardes armés paraissait, au vue de leurs fusils d'assauts, une priorité qu’il ne leur fallait pas négliger.

À trois contre un, la bataille fut difficile pour le ch'tit. Les derniers hommes postés dans la bâtisse furent néanmoins mis hors d'état de nuire, et l'homme, en proie à une lutte acharnée contre mercantour, fut destabilisé par l'intervention de ses deux coéquipiers. Ce moment d'innattention, perçu par Mercantour, causa sa perte. L'énorme mâchoire carnassière du loup décapita le mastoc qui s'écroula au sol dans un déferlement d'hémoglobine qui tâcha le costume de Jeanne.


Le loup se releva, se dépoussiéra, et regarda François, puis Jeanne :

"Boubakar n'est pas là, ni GroCervaux, mais son stock est à l'étage, suivez moi."

Alliant le geste et la parole, le mutant fit un bond pour rejoindre la salle supérieur, à travers le trou qu'il avait lui même causé, et tendit une main à Jeanne pour l'aider à monter. À l'intérieur se trouvait d'énormes un laboratoire, remplis d'alambics, de tubes à essaies et d'autres matériels ainsi que des composants chimiques dont la combinaison, pour le connaisseur, pouvait suffire à créer un narcotique nocif et surpuissant. Le ch'tit put remarquer un lecteur stéréo sur l'une des étagère, un vieux modèle qui permettait de lire les cassettes audios.